Recherche

Autres articles dans cette rubrique

Collection « Poiesis »

Daniel Vander Gucht
Aquarelles de Damien Delepeleire
176 pages, 18 illustrations couleur, 16 x 22 cm,
ISBN 978-2-87317-529-0
25 €, 2019
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/9782873175290.xml

« Je décide de devenir chansonnier à l’instar de Marcel Broodthaers ruminant : “Moi aussi je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie. [...] L’idée enfin d’inventer quelque chose d’insincère me traversa l’esprit. et je me mis aussitôt au travail.” » À force d’écouter « radio comercial » sur l’autoradio de ma voiture de location au Portugal, je me mets au défi de composer une ode à Lisbonne dans le plus pur style bal de la sardine en espérant faire un carton, comme la valise de Linda de Suza bien sûr. Le titre initial, « Lisbonne ma bonne », hommage au « Bruxelles ma belle » de Dick Annegarn hybridé avec le « London Calling » des Clash, est devenu « Lisbonne m’appelle » afin de ne froisser personne (et surtout pas ma bonne — ce qui n’est pas très punk, je vous l’accorde). Près d’un an plus tard, je continue à composer des chansons navrantes en ne renonçant à aucun mauvais jeu de mots (il me faut bien une éthique) et je dévore tout ce qui me tombe sous la main comme biographies, anthologies, manuels et interviews de tous ces paroliers qui ont écrit la légende de la chanson française, plus souvent dans l’ombre que dans la lumière. Sans remonter à Clément Marot, Boulanger ou Aristide Bruant, je me trouve une nouvelle famille de chansonniers... »

Daniel Vander Gucht (1958) est professeur de sociologie à l’université libre de Bruxelles. Il a publié plusieurs essais sur l’art, la culture et la société contemporaine parmi lesquels La Jalousie débarbouillée. Éloge de l’incertitude amoureuse (Bruxelles, Labor, 2005 ; réédition Bruxelles, La Lettre volée, 2014) ; Ecce homo touristicus. Identité, culture et patrimoine à l’ère de la muséalisation du monde (Bruxelles, Labor, 2006) ; L’An passé à Jérusalem. Journal yérosolymitain (2004-2005) (Bruxelles, La Lettre volée, 2008) ; L’Expérience politique de l’art. Retour sur l’engagement artistique (Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2014) ainsi que Ce que regarder veut dire. Pour une sociologie visuelle (Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2016).

Damien Delepeleire (1965), Lauréat du Prix de la Jeune Peinture belge à 21 ans, expose depuis régulièrement en Belgique comme à l’étranger.

Dans Le Carnet et les Instants  :
le-carnet-et-les-instants.net

Poésie, va, je ne te hais point

Daniel VANDER GUCHT, Pourquoi je n’écris plus de poésie, dessins de Xavier Noiret-Thomé, Lettre volée, 2019, 78 p., 19 €, ISBN : 978-2-87317-528-3 ; Sous influence, aquarelles de Damien De Lepeleire, Lettre volée, 2019, 176 p., 25 €, ISBN : 978-2873175290

Pourquoi je n’écris plus de poésie repose sur un double mouvement, une aspiration romantique à une poésie oraculaire lors de l’adolescence et une déconstruction rock de la posture du poète-mage. Rythmés par les dessins sauvages de Xavier Noiret-Thomé, les textes sont taillés comme des chants, des uppercuts rock’n roll innervés par l’absurde. Écriture automatique, cut-ups burroughiens concourent à mettre en œuvre un surréalisme du quotidien. Ce n’est qu’à la fin du recueil que nous apprenons qu’à l’exception des quatre derniers textes composés récemment, l’ensemble a été rédigé par Daniel Vander Gucht à l’adolescence. En son essence, davantage que les autres arts, la poésie est tiraillée entre la postulation de sa mission et le renoncement à elle-même, écartelée entre l’absolu de sa visée et le hara-kiri. L’exhumation de textes écrits dès l’âge de quinze ans s’assortit à un abandon ultérieur de la poésie. La percutance dans l’auscultation des signes, le parfum de ballade rock, la radiographie du « zoo humain », d’un monde qui dérape donnent la tonalité du recueil.

Très tôt j’ai écrit de la poésie
Comme pour entrer à reculons dans la vie
Puis me suis tu sans déplaisir
Pour jacasser à loisir

L’aventure du verbe s’inscrit dans une quête d’étourdissement, d’éblouissement. La poésie est vécue comme une amulette pour grimper dans un radeau à l’écart du train du monde. Si la poésie se voit louée, idéalisée, elle est également soumise à une entreprise de désacralisation. Si ses promesses brillent dans le cœur de l’adolescent, son front est tatoué d’un « No future ». Romantisme et punkitude, attrait pour « le monument aux mots » et méfiance, distance envers ses charmes de sirène vont de pair. Traverser les vapeurs du lyrisme, « la beauté d’une phrase qui roule » permettrait peut-être de gagner la vie là où la poésie s’en écarte ?

Traversée du vide sidéral
Plus d’absolu prétendu
Au rancart l’innocence perdue
A mort la vertu rance
Alors peut-être
La vie…

Explicitée par certains titres (« Coney Island baby revisité », clin d’œil à l’album Coney Island Baby de Lou Reed), la facture métaphysique rock des textes annonce ce qui deviendra plus tard une des passions de Daniel Vander Gucht, sociologue, professeur à l’ULB, éditeur : l’écriture de chansons, dans une longue tradition qui va de Clément Marot, Aristide Bruant à Ferré, Brel, Barbara, Gainsbourg, Lavilliers, Damien Saez, Christine and the Queens… Accompagné d’aquarelles de Damien De Lepeleire, faisant suite à Robert, va te coucher (Lettre volée, 2019), le recueil Sous influence se compose de chansons dont certaines ont été mises en musique par André Goldberg. La poésie abandonnée il y a trente ans revient métamorphosée sous la forme de chansons. La musique des origines est celle du rythme, du souffle, du tempo, des sons nus et rauques avant de s’infléchir en concepts, en architecture et en formes rhétoriques. Un même fleuve, le Verbe, se fibre en divers affluents qui le nourrissent en retour.

Véronique Bergen