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Collection « Poiesis »

Yves Namur
152 pages, 14 x 21 cm
ISBN 978-2-87317-605-1
20 €, 2023
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/9782873176051.xml

Poèmes-morphogrammes fidèles au manuscrit original sur papier machine à écrire et marguerites de 1984, inédit d’Yves Namur, 0, l’œuf est un livre composé autour des seules lettres du mot « œuf », chaque page se voulant un diptyque : dans la partie supérieure, un tableau ponctué de lettres et d’une ligne horizontale représentant un plan d’eau, et dans la partie inférieure, une partition ou les supports acoustiques dudit tableau. Comme l’écrit Francis Édeline, spécialiste des poésies visuelles et concrètes, qui en a analysé les dimensions formelles et rhétoriques, « ces morphogrammes sont au service d’un projet axiologique centré sur le symbolisme de l’œuf. C’est la vie, c’est l’existence humaine, c’est le monde entier qui sont entraînés dans un perpétuel mouvement cyclique d’engendrement et de reconnaissance. Avec la complicité de notre système d’écriture. »

Yves Namur (1952) est l’auteur d’une quarantaine de recueils dont La Tristesse du figuier (Lettres vives, 2012) ou Dis-moi quelque chose (Arfuyen, 2021). Ses livres ont reçu de nombreux prix parmi lesquels celui de la Communauté française de Belgique, le Tristan Tzara, le Guillevic ou le Mallarmé. Il est le Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

Francis Edeline est poète, écrivain et traducteur mais aussi sémiologue apparenté au Groupe µ.

Quelques recensions du livre :

Daniel Simon :

De l’œuf à l’infini

Le livre d’Yves Namur, préfacé brillamment et savamment par Francis Edeline aux éditions de La Lettre volée est la trace d’une longue histoire qui était déjà dans un pays éloigné, comme l’écrivait Racine.

Il s’agit ici de celui de l’expérimentation que faisait un jeune poète alors dans la plus totale discrétion ; il cherchait, il s’amusait sur sa machine à écrire électrique et marguerites de 1984.O.

Et que voit-on quand on ouvre le livre ? La graphie d’un œuf, un œuf posé au-dessus ou en dessous d’une ligne, comme une ligne d’horizon, une mer, une mère, propre aux variations graphiques et glossolalies lettristes…

Pour celles ou ceux qui s’émerveillent à suivre les questions d’origine et le lieu du néant où nous nous retrouverons tous, le livre d’Yves Namur est une matière magnifique pour penser et voyager littéralement sur les intrication entre le sens et l’essence de la mer et de la mère. Il s’agit d’un voyage aussi dans la distance, la disparition et la réapparition de cet œuf des origines…Nous sommes devant un objet ludique mais qui prend peu à peu dans ses formes et variations subtiles la dimension d’une sorte de mantra silencieux.

Dans ce livre, deux étages, dirons-nous : l’étage supérieur où se déploie la pérégrination des lettres de l’œuf plus ou moins dans la tension ou l’éloignement de cette ligne d’horizon qui rend possible la forme de ces calligraphismes ( la mise en page a été réalisée par la graphiste Joëlle Salmon, pour l’occasion de l’édition) et, dans l’autre partie, dans le bas de la page , des textes, matière à glossolalies. La lecture, presque chamanique de l’alphabet de l’oeuf et des récits qu’il convoque, suscite chez le lecteur une intimité heureuse avec ce sacré objet des recommencements.

Yves Namur a attendu longtemps (près de 40 ans…) avant de penser que son texte pourrait peut-être être publié, il y avait même renoncé mais heureusement l’écrivain Véronique Bergen et le poète et éditeur Pierre-Yves Soucy sont revenus déterrer ce bijou et ont sollicité l’auteur dans le sens de cette édition. Elle offre du travail du poète et de ses pérégrinations méditatives un écho de l’organisation secrète qui nous habite lorsque nous lisons et écrivons : quelle est cette voix que nous entendons au fond de nous ? Ce serait celle de l’origine paraît-il, celle du moment où nous labialisions encore et le poète est censé avoir une ouïe à ce point fine qu’il peut probablement à chaque fois, dans chaque vers, entendre le jouir de cet ouïr premier, de nourrir la scansion muette que le poème suscite pour se frayer un chemin du corps à l’œil et à l’oreille des autres.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Namur

René Noël in : https://www.sitaudis.fr/Parutions/yves-namur-0-l-oeuf-1674366251.php

Marc Wetzel in : https://revue-traversees.com/2023/01/25/yves-namur-0-loeuf-preface-de-francis-edeline-la-lettre-volee-144-pages-4eme-trimestre-2022-20e/

Daniel Laroche in : https://le-carnet-et-les-instants.net/2023/01/20/namur-o-l-oeuf/

Jean-Marie Corbusier in

des pirogues mouvantes
sur l’eau
f f font
des signes d’œufs
dans l’o.

onoo. Céc ile
marche sur des
œufs, sur les eaux
f ait des mots
et plonge dans
l’O.

Dans ce recueil étrange, dès que le lecteur le feuillette, nous reste un point d’appui, une constante qui tient sous bride tout débordement, tout laisser-aller. Nous sommes en présence d’une structure qui ne laisse à la page qu’un envol raisonné.
Tout au long du recueil, dans la partie supérieure de la page, une ligne horizontale, un point de mire où l’oeil se fixe dans un état d’interrogation. Au départ pas de signe, puis quelques-uns apparaissent sur ou sous la ligne, de grandeur différente, groupés de manières diverses, généralement reprenant à chaque fois en partie les lettres du mot œuf. Sur cet horizon plus marin que terrestre, le lieu d’une naissance, un rien qui lentement va se déployer, un minuscule o qui va grandir et se multiplier pour à la fin du recueil disparaître dans un horizon vide. Nous allons de rien à rien, image de notre condition terrestre : néant-quelque-chose néant. C’est notre pèlerinage à la mort. La page est une superposition de deux parties qui se répondent, qui prennent de la distance. Les lettres se détachent de la première partie pour venir former le mot œuf ou son correspondant : O. Puis d’autres mots viennent s’assembler pour former un texte court, rapide, bien délimité et de présentation régulière.
La première citation de François Jacqmin nous dit : « Dans toutes les langues du monde, l’œuf est un mot en formation ». Nous voilà avertis : l’œuf dans sa gangue attend une sortie visuelle et sonore à la fois.
Des mots ou partie de mots rebondissent les uns sur les autres soit par ressemblance formelle soit par ressemblance auditive (assonance). Se forment aussi quelquefois des mots nouveaux, tel que : fécondoeuf. Des compositions de mots et des décompositions assurent d’une part un mouvement au texte et d’autre part reviennent à l‘existence de tout être vivant : naissance et mort. Le monde liquide assure souvent la transition.
Mais quel rapport entre le haut de la page et le bas ? Peut-être faut-il avoir à l’esprit la formule de Roman Jakobson : « Le poétique consiste dans la projection des équivalences et des similarités de l’axe paradigmatique sur l’axe syntagmatique. »

Chaque poème se passe avec un quelconque rapport avec l’eau dont le mot revient à chaque poème, source de vie et de développement de la vie. Tout se concentre sur l’œuf présent dans chaque poème écrit en entier ou représenté par une ou deux de ses lettres. Il y a une obsession dans ce mot parfois déconstruit qui nous pose la question du sens comme si le mot œuf devait s’imposer partout et particulièrement pas sa lettre 0, symbole du vide et de resserrement autour de la matière du vide, une présence donc, un départ vers des sens sans fin, sans fond.

L’œuf est / une façon de dire / l’infini
O comme un point / d’œuf / élabore le silence

Faut-il dans ces poèmes voir un jeu à partir de trois voyelles et une consonne, pas un jeu de mots, la poésie est trop importante, mais une volonté délibérée de brouiller le sens des mots pour atteindre d’autres sens et finalement s’en libérer. A la fin du recueil l’œuf, l’O dégringole de son pied d’estale flotte dans le blanc et vient s’intégrer dans le dernier poème comme si le poème seul était capable d’assurer la survie, comme s’il donnait sens au néant même par la raison. Au travers de l’œuf décomposé en ses mots, reste l’image de l’œuf entier comme s’il n’était jamais perdu, accroché au sens sans jamais s’en départir. Le rôle du lecteur est une reconstruction, un décodage, nous dit dans la préface Francis Edeline. C’est la partie que le lecteur assume, sa part d’invention, de libération. L’auteur comme tout poète reste un passeur.
Dans ces poèmes en deux parties, une graphique, l’autre textuelle, serions-nous dans l’opposition entre le sensible et le rationnel, l’image plus fluide, insaisissable, inconsistante où cependant les mots apportent des éléments concrets et où le lecteur peut prendre appui bien que le contenu du poème reste parfois énigmatique et débouche sur la rêverie, la seule échappatoire.
Le poème émergeant de la page blanche est d’abord une image partagée en deux qui fait unité et séparation à la fois.
Peut-être, pourrait-on lire la page de bas vers le haut et voir que le poème dans son mot principal se disloque en venant frapper contre la ligne horizontale qui barre le chemin. Il y aurait fuite du poème, celui-ci traversant l’espace par-delà l’horizon : disparu et éternel. Le poème implose et explose à la fois. Il est une source et une tombe et contient chaque lecteur. Il faut s’en délivrer sinon nous y sommes définitivement enfermés. Ces poèmes courts, secs, martelés nous atteignent comme un abîme, une obsession, un sens non pas retrouvé mais trouvé. L’œuf vu de l’intérieur et de l’extérieur peut s’associer à toute chose. Il devient le mot lien entre l’espace et le temps, le mot où tout se concentre et même où tout devient possible. Il perd toutes ses caractéristiques en les devenant toutes. N’oublions pas que l’œuf est un mot en formation, et que deuxième citation de Jacques Sojcher … il faut tuer le mot, à la verticale des phrases, du récit. Serait-ce à dire que la naissance du poème est vouée à sa disparition ?
Ce recueil nous convie à des réflexions, du badinage, de l’humour, des clins d’œil, des retournements de sens. Mais dans tout cela où est l’œuf de Christophe Colomb ? Enigmatique approche d’un imaginaire qui se libère par un vocabulaire mystérieux et lointain quelquefois décrivant des choses élémentaires qui se répètent par un nombre de mots limités.
Ce recueil est un profond étonnement, sans émotion, contrairement à d’autres du même auteur qui nous laisse plusieurs fois pris au piège, des phrases s’éveillent à nous, d’autres restent fermées, close sur un dire qu’elles ne révéleront jamais. Rappelons cette phrase d’André du Bouchet : c’est insaisissable mais non pas gratuit. Nous restons surpris par la cohérence et la singularité mêlées, où l’œuf dans le quotidien est chose fragile, alors qu’ici apparaît un être dur, construit par des pensées soutenues et répétitives, avides d’affirmer la vie et son émerveillement.
Il reste une autre dimension aussi :
vagues, flux, reflux
la mère s’ouvre à la
mer, ouvre l’œuf
et l’Utérus, l’u

Ce recueil, dans son écrin de mots et de création, laisse encore au lecteur beaucoup de découvertes pouvant se décliner à des niveaux de sens possibles. Yves Namur nous y invite au travers de beaucoup de symboles qui résonnent les uns sur les autres : « La nature est un temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles… »

f fente de
l’eau de l’
oeuf
f fait le désir
dans l’O.

Jean-Marie Corbusier