Collection « Lettres »

Henri-Pierre Jeudy
88 pages, 15 x 21 cm, cousu
ISBN 2-87317-060-3
ISBN 978-2-87317-060-8
15 €, 1997
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À la suite d’une gangrène, ma mère avait failli être amputée, elle avait décidé qu’elle préférait mourir plutôt que de s’éveiller sans son pied. Elle exigeait d’être tuée. Elle n’avait jamais pu se suicider, elle voulait que les autres mettent fin à sa vie. Puisque le monde l’avait fait naître, c’était au monde de la faire disparaître. Elle s’était persuadée que seul le don de son corps à la science lui permettrait d’obtenir le droit d’une mort provoquée. J’étais allé la voir à l’hôpital quelques jours après un pontage qui semblait avoir réussi. J’étais assis à côté de son lit, elle ne cessait de me dire qu’elle ne savait pas où elle était, qu’elle ne comprenait pas ce qui venait de lui arriver. Je tentais en vain de la rassurer quand j’aperçus sur une autre chaise un pied déposé parmi des vêtements pliés, en attente de son usage. La cheville blanche était lisse et la chaussure ressemblait à une bottine avec son lacet déjà noué.

Henri-Pierre Jeudy, sociologue rattaché au CNRS et enseignant à l’école d’architecture de Paris-Villemin, est l’auteur de nombreux ouvrages qui ont renouvelé la réflexion sur la gestion patrimoniale et l’esthétisation de la culture et de la société. Il a publié à La Lettre volée La Communication sans objet (1994), L’Ironie de la communication (1996), Aligato (1999), Même les fantômes (2002) et un conte philosophico-poétique, en collaboration avec Emmanuel Tugny, La Reine Eupraxie (2006).