Air est différent (L’)
Axel Claes, Patrick Corillon, Jocelyne Coster, Pascal Courcelles, Damien De Lepeleire, Natalia de Mello, Guido Lu, Thomas Israël, Anne Penders, Evelyn Fischer, Agnès Geoffray, Alain Géronnez, Myriam Hornard, Djos Janssens, Marin Kasimir, Anne Lefebvre, Cécile Massart, Michel Moers, Xavier Noiret- Thomé, Jean-François Pirson, Sébastien Reuzé, Laurence Skivée, Robert Suermondt, Walter Swennen, Daniel Walravens.
Je m’emballe
Je m’emballe
Relire le monde, relier les gens
Rencontres de 2013 à 2018
Laurence Skivée
192 pages, 15 x 21 cm
ISBN 978-2-87317-604-4
21 €, 2022
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/9782873176044.xml
Quel est le lien entre le nettoyage d’une maison et l’acte d’écrire ? Quel est le lien entre ce chiffon qui est passé et les souvenirs qui remontent ? Quel est le lien entre un laveur de vitres et une femme qui cherche avec les mots à dire le monde ? Le mot, la force et la beauté du mot, qui nettoie les pensées, qui fait entrer la lumière, qui dit le monde extérieur et le monde intérieur, qui rend intime l’extérieur et qui permet de faire sortir l’intime de soi. (Emmanuel Régniez)
Laurence Skivée (Liège, 1973) artiste et autrice, vit et travaille à Bruxelles. Après des études en photographie à Saint-Luc puis en pratiques artistiques à l’École de recherche graphique (Bruxelles), elle expose régulièrement son travail, se produit à l’occasion de performances et produit des livres d’artiste. En 2013, elle publie son premier livre d’artiste, Je m’emballe, aux éditions de La Lettre volée et son premier texte chez ce même éditeur à l’été 2018 : L’air est différent. Elle a également publié Diaphane s’installe et Piétons traversez aux éditions de L’Âne qui butine en 2021.
https://le-carnet-et-les-instants.net/2022/12/28/skivee-le-laveur-de-vitres/
Laurence Skivée Le laveur de vitres récit éditions La lettre volée (192 pages, 21 euros)
Dans ce récit Laurence Skivée ramène autrui à ses propres vérités, se confondant au mouvement, aux gestes : « Ses gestes appris s’ancrent en moi, suspendu ».
C’est que le « laveur de vitres » a un objectif déterminé à clarifier, purifier peut-être.
La réflexion du vécu se confond avec le mouvement d’un tiers par le biais d’un chiffon tandis qu’une sorte de jouissance de la solitude positive (celle choisie) s’opère avec la lente poussière du temps qui se dépose.
S’opère une maïeutique de l’instant décanté en réflexions avec la prise de conscience du « soleil qui tourne autour de nous » tel l’éternel retour sans toutefois briser le cercle enchanté mis en place.
L’auteure se dit « naturellement inspirée ».
On la croit sur parole…écrite…avec cet instinct inné de pouvoir communiquer presque sans oralité ce qui n’étonnera pas quand on a déjà pu remarquer sa conception spatiale et graphique.
Être admiré sans le savoir ajoute de la beauté à « la main (qui) rayonne alors et fait de lui l’un des laveurs de vitres les plus difficiles à comprendre sous la simple apparence ».
Se dégage de ce « laveur de vitres qui chante » un instant magicien : « Il est passeur, il est une apparition » alors que Laurence, elle, se fait prestidigitatrice des mots.
L’effet forcément transparent avec le frotté du va-et-vient et l’aller-retour du laveur accentue la sensualité de la pensée à se convaincre de l’absolu moment alors que se pose la question essentielle de « vivre (je vis) un (cet) amour en le perdant ».
Partout où passe Laurence se pose, je crois, la question de l’espace où elle se trouve et ce qu’elle y fait.
Contrairement à une apparente nonchalance, c’est au contraire très actif.
Chiffon à la main, la force du vécu révèle un vécu fraternel : « Je comprends à travers le laveur de vitres que ma sœur je l’ai aimée et qu’elle m’a aimée. C’est beau » tandis que le mental résulte parfois de la résonance des pas.
En initiales, un écho répond en italiques : « continuez d’explorer » tandis que les êtres vécus profondément remontent à la Surface : « Oui ; ici ; peu de jours sans oiseau, sans le visage retrouvé de ma sœur, de mon père. Oui, c’est comme ça, avec ou sans écriture ».
Dans ce livre où les mots non utilisés sont pensés à haute voix, la prise de conscience des vécus a plus d’un tour (de chiffon) dans son sac alors que certains mots activent leur contraire : « Quand j’ai fini les mots me quittent. Ils vont vivre avec un autre ».
Effectivement. Et…la lectrice, le lecteur…époussètent à leur tour !
Patrick Devaux
https://www.areaw.be/laurence-skivee-le-laveur-de-vitres-recit-editions-la-lettre-volee-170-pages-23-euros/
http://www.lelitteraire.com/?p=87507
Se tenir aux carreaux
Laurence Skivée offre une autobiographie à sa manière, à savoir sublimée par sa simplicité et la qualité de l’écriture. Le titre semble trompeur avec sa masculinité.
Mais le “je” le dynamite et lorsque l’auteure écrit : “Je viens d’une famille maniaque. Tous les samedis matin, j’avais droit à la loque à poussière sur la clenche de la porte de ma chambre. J’époussetais pendant que ma mère nettoyait le salon : je faisais le haut, elle faisait le bas. Une fois par mois, je prenais les poussières à fond, bien dans les coins. Les plinthes, les interrupteurs, les fils, tout y passait. Après l’effort, je regardais Pause-café. Je craquais pour Véronique Jannot. Je voulais devenir assistante sociale…”, le doute n’est plus permis.
À partir de là se créent une belle évocation d’une enfance et l’histoire d’une vie. La native d’Alleur — petit village proche de Liège — offre un corpus poétique délicat où se retrouve le lointain qui redevient proche au sein de données “objectives” du réel disséminées en fragments d’images où temps passé déborde implicitement vers le présent d’un bel aujourd’hui vivace.
Laurence Skivée retient et libère sa vie en une suite de formes aussi simples qu’altières. Un tel minimalisme — preuve de pudeur poétique — ramène à celle qui “a fini artiste” et écrivaine. Et qui a trouvé dans de telles activités le moyen d’éviter les horaires, la foule. Cela lui permet de flâner, marcher et vivre certes chichement mais selon un “riche parcours”.
Que la créatrice vende peu, cela lui importe peu : elle offre facilement et adore envoyer “des petits formats à l’occasion d’anniversaires, de fêtes de Noël et autres.” Et la forme du livre devient l’assemblage de moments, leur avant et leur après, leur avancée et leur recul. Cela peut s’appeler Eden ou enclos. L’artiste y noue des entrelacs. La lumière efface toute ombre en embrassant l’espace afin de créer une poésie capable de fomenter une étrange fascination par humilité.
Rien ne se perd du passé et de ses émois dans ce livre du présent là où ” le laveur de vitres m’accompagne. Il nous accompagne. Pour un temps, j’imagine.” dit-elle. Oui, peut-on lui répondre ; de la sorte “ça suit son cours” comme disait Beckett. Et ce que le texte rameute de déperdition, dans le même mouvement il le ramène.
Le livre devient une méditation et une exaltation unissant un mouvement de dilatation à celui de la concentration. Il lie l’infime à l’immense, loin de tout effet spectaculaire en de subtiles harmonies.
Reste à s’abîmer en un tel nettoyage. Entre le laveur de vitre et l’écrivaine il n’y a donc rien de “chiffon” même si les deux avec un tel textile et chacun à leur façon font le ménage de la maison de l’être. Ils s’arrangent pour tenir en équilibre : épousseter doit intégrer le fait de ne pas tomber.
Le cas échéant, il faut savoir se relever — ce qui reste le privilège des humbles. A la possession de choses, ils préfèrent la lumière qui tombe sur elles, même lorsque le ciel est encombré.
Jean-Paul Gavard-Perret