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Collection « Lettres »

Rachel M. Cholz
64 pages, 15 x 21 cm
ISBN 978-2-87317-600-6
14 €, 2022
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/9782873176006.xml

« Les bras de Noémie c’est plein d’étoiles filantes. Quand tu regardes à l’intérieur tu vois qu’il y en a qui datent et d’autres qui viennent de mourir. Mais elle s’en fout Noémie, elle veut juste qu’on lui relève sa manche parce qu’elle veut pas mettre plein de liquide dessus quand elle se désinfecte les bouts de verre du pastis. Après elle rigole parce que ça pique l’alcool 90. »

Noémie, elle ne vit pas dans la rue, elle l’habite. Ce texte lui est dédié. On apprend à la connaître à travers ses déambulations, ses états d’âme et ses envies de casser. Pour rester en vie, Noémie se mesure toujours à l’excès. Cette histoire la suit au présent, et tente de redonner à la survie une nouvelle forme de solarité.

Ce texte a été lauréat de ARTCENA.

Rachel M. Cholz est une autrice partageant son temps entre Genève, Paris et Bruxelles où elle vit. Outre l’écriture de récits, elle écrit et crée des projets pour la scène et les arts numériques. En plaçant la langue au centre de la dramaturgie, elle manifeste un intérêt particulier pour les paradoxes du langage. No ou le pactole est son premier récit publié.

La lecture de JEAN-PIERRE LEGRAND
https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2022/12/01/no-ou-le-pactole-de-rachel-m-choz-la-lettre-volee-la-lecture-de-jean-pierre-legrand/

M. Cholz est une jeune autrice française. Elle s’est installée à Bruxelles en 2010 et écrit dans des revues ou pour le théâtre. No ou le pactole est son premier récit publié.

L’autrice marche dans les pas de Noémie, une SDF de Bruxelles. Le texte est court, fragmenté en segments affûtés et nerveux. Nous ne sommes pas étonnés qu’il soit lauréat du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre et comme tel destiné à être mis en voix et en scène. Le livre s’ouvre en effet comme s’éclaire une scène au théâtre. Sur le plateau un décor minimaliste : une place bordée de bancs. Noémie en est la reine : c’est là qu’elle vit. Nous la suivons au présent dans une succession de petits tableaux, parfois des instantanés. La phrase est brève, simple mais très inventive : elle jongle avec les détournements de sens, la polysémie et les paradoxes du langage, bousculant au passage les règles de la syntaxe. « Le bruit de la voiture électrique miniature et des voyelles de Noémie qui s’arrêtent toujours sur des K, à la fin des phrases. Les K de Noémie résonnent sous les balcons. Les K de Noémie s’entendent jusqu’au bout de la rue. Plus que les O. Les O de Noémie arrivent le matin. Les K de Noémie repartent le soir. Et des fois Noémie elle parle plus, elle est les deux, elle est le KO. Elle est un KO qui ne partira pas du banc, même si elle doit partir du banc, même si tous les bleus arrivent pour la dégager du banc et qu’elle les regarde comme des hématomes en plus, sur son corps tout KO. Puis finalement elle se lève avec plein de OK OK OK J’ME CASSSE ».

Un personnage cette Noémie ! Funambule sur le fil de sa déréliction, elle semble jongler avec tous les excès, les états d’âme explosifs et contradictoires, la violence, la tendresse et l’amour aussi. A sa manière, dans le tapage de son dénuement, elle est solaire. Une phrase dit tout : « Elle est comme ça. Entre deux extrêmes. Et puis les autres c’est pareil. Ils se battent, se mettent des gros poings et après c’est les gros câlins. Avec elle au milieu ».

Sur la place et autour des bancs devenus le centre du monde, gravitent toute une escouade de déshérités. Ils n’ont pas de nom, parfois même, pas de prénom : alors un détail vestimentaire un tic de langage, suffisent à les nommer, comme un lieu-dit existentiel – doudouneblanche, Mr 20 cents… Ils s’écartent peu dans l’étoilement des rues commerçantes avec « leurs vitres qui déforment les gueules ou les rendent transparentes, les pommettes pleines de fringues neuves ». On croise aussi quelques bourgeois furtifs au bout de la laisse de leur chien. : ils aiment bien qu’on parle de leur animal mais pas trop longtemps ; un sourire crispé s’ébauche, une pièce tombe.

Travaillant la page comme un espace, Rachel M. Cholz a également eu la bonne idée de convoquer différentes ressources typographiques : capitales d’imprimerie, caractères agrandis, énumérations verticales, espacements, déport du texte à gauche ou à droite, écrasement partiel d’une ligne par une autre… Le procédé n’est pas neuf mais l’autrice en use très à propos, toujours au service du texte. On ne peut que féliciter l’éditeur de l’avoir suivie dans cette audace.

No ou le pactole est une réussite. Son sujet prêtait à tous les stéréotypes, à tous les moralismes d’usage. L’autrice les évite. Elle swingue, boxe, nous tape dans les tibias : No ne veut pas de notre pitié, alors, nous apprenons à l’aimer.

https://karoo.me/livres/no-ou-le-pactole-de-rachel-m-cholz-quotidien-dune-femme-qui-habite-la-rue

Lecture de Julie Derycke

No ou le pactole de Rachel M. Cholz
Quotidien d’une femme qui habite la rue
28 mars 2023 par Anne-Sophie LN

No ou le pactole de Rachel M. Cholz est une immersion dans la vie de Noémie, qui survit dans une jungle urbaine. Un livre qui parle de la dureté de la vie d’une femme dans la rue de ses excès et ses amours.

Rachel M. Cholz est une autrice française qui vit à Bruxelles. No ou le pactole est son premier ouvrage publié aux éditions La Lettre volée. Issue du milieu de l’écriture théâtrale, elle apporte ici un regard différent sur la mise en page traditionnelle et sur la sonorité des mots. Dans ce livre assez court, elle raconte les déambulations de Noémie et son quotidien avec les autres sans-abris qui partagent la place. En écrivant à la manière d’un journal, la narratrice raconte un brouhaha auquel elle ne peut pas échapper.

Et il faut le dire, vous en avez peut-être marre de lire des poings de Noémie comme j’en ai marre de dire des poings de Noémie mais c’est comme ça avec Noémie. Même quand y’en a marre ça se fait quand même et ça se répète.

Cet ouvrage atypique étonne par sa mise en page inhabituelle et parfois chaotique : on constate que l’autrice prend une liberté totale pour véhiculer ses idées. Ainsi, pour exprimer le chahut des conversations qui se croisent dans la rue, les phrases sont imprimées les unes sur les autres et on ne devine plus que quelques mots. Séparés par deux lignes en pointillés, les textes se suivent sans apporter d’indicateur temporel, alors on lit ces saynètes comme des tranches de vie indépendantes. Le décor inchangé est planté chaque jour où une nouvelle représentation se joue devant les passants de la place. On ressent un besoin pour l’auteure de partager ses observations avec nous comme pour se libérer d’une violence qui pèse sur elle sans qu’elle puisse intervenir. Ainsi, le ton employé est cru pour s’adapter aux événements qui se produisent sur la place où No traîne avec ses camarades.

Noémie tourne sa ceinture à gauche puis à droite puis à gauche puis à droite en tournant sur la place. Elle tourne sa ceinture en cherchant
Mike. Parce qu’elle veut EXPLOSER Mike.
Parce que Mike a voulu EXPLOSER Adil hier.

Le regard que Rachel M. Cholz pose sur les personnages de son roman est assez juste et rappelle au lecteur ces femmes qui vivent dans la rue, que l’on croise souvent lorsqu’on vit à Bruxelles. On constate que l’autrice n’évoque pas ou peu la présence d’autres groupes sauf celui de la police. La protagoniste et ses connaissances semblent isolées du reste du monde tout en vivant dans l’espace public, elle insiste donc sur leur marginalité tout en étant au cœur de leur vie quotidienne. À chaque passage lu, le lecteur est ballotté d’un extrême à l’autre : des moments de joie et de crise se suivent et parfois se mêlent.

Mais quand l’amour se mélange à la main du poing c’est son degré zéro
à elle, à Noémie. C’est son extase-tendresse-supplice. C’est plus une
douleur suspendue qui se panse juste par la salive. C’est autre chose.
C’est le versant. Le versant de ses trous-manques, qu’on lui rembourre
de kilos de tendresse à coups de métacarpes.

Le langage de No ou le pactole est travaillé comme on le ferait avec un poème. Et parfois, l’envie de lire à voix haute se fait ressentir pour saisir toute la subtilité des sonorités.

Le bruit de la voiture électrique miniature et des voyelles de Noémie
qui s’arrête toujours sur des K, à la fin de ses phrases. Les K de Noémie
résonnent sous les balcons. Les K de Noémie s’entendent jusqu’au
bout de la rue. Plus que les O. Les O de Noémie arrivent le matin. Les
K de Noémie repartent le soir. Et des fois Noémie elle parle plus, elle
est les deux, elle est le KO.

On a l’impression dans ce passage de buter sur les mots, le K marque un arrêt qui perturbe notre lecture. De plus, le « KO » est polysémique, c’est aussi le son du chaos.

Ces jeux sonores se retrouvent aussi dans les nombreuses répétitions qui accompagnent parfois un geste frénétique, une pensée envahissante ou simplement qui expriment l’usure de dire chaque jour des phrases que personne n’entend.

À juste titre, on retrouve un autre personnage qui répète neuf fois la même phrase dont la police typographique finit par occuper toute la page du livre, comme s’il avait commencé à parler sans trop de conviction et avait fini par crier.

ESCUSEZZZZ-MOI, Z’AURIEZ PAS UNE PIÈCE DE 20 CENTIMES S’IL-VOUS-PLAÎT ?

D’abord un peu déroutée par ce style très brut et peu ordinaire, j’ai quand-même trouvé très intéressante cette manière de raconter au plus près un milieu que l’on côtoie quotidiennement mais que paradoxalement nous ne connaissons pas. No ou le pactole touche par sa mise en page inhabituelle, mais aussi par les excès de ses hommes et femmes de la rue racontés sans filtre. L’angle est presque anthropologique, ce qui immerge totalement le lecteur. Rachel M.Cholz raconte le quotidien de ces gens sans pour autant nous dire de les plaindre : elle constate, mais ne juge pas.