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Collection « Palimpsestes »

De la pulsion de régression à la crise de la représentation
Philippe Di Meo
160 pages, 12 x 18 cm
ISBN 978-2-87317-623-5
18 €, 2023
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/978287317623-5.xml

Dès ses premiers poèmes, l’essentiel de l’œuvre de Pier Paolo Pasolini s’articule autour de la figure de Narcisse. C’est travers l’évocation de ce mythe qu’il assouvit un impérieux besoin de confession publique. Mais Narcisse livre une lutte perdue d’avance contre le passage du temps. Pasolini mène ce combat en faisant un usage immodéré de l’analogie pour essayer de concilier instant et durée. Bientôt ce jeu acrobatique se révèle intenable. Il remet alors en cause l’idée même de représentation qui avait été initialement la sienne à travers deux œuvres majeures : La Meilleure Jeunesse (1975) et Pétrole (posthume, 1992), mais également dans un court-métrage comme Que nous disent les nuages ? (1968). Il invente alors des formes nouvelles comme malgré lui et contre ce en quoi il avait longtemps cru : un univers fondé sur l’éternel retour.

Philippe Di Meo est écrivain, critique et traducteur. On lui doit notamment des traductions françaises couronnées de plusieurs prix des œuvres de Giorgio Manganelli, Andrea Zanzotto, Carlo Emilio Gadda, Bartolo Cattafi, Pier Paolo Pasolini, Giorgio Caproni, Giuseppe Bonaviri, Federigo Tozzi, Edgardo Franzosini, etc. Il a en outre écrit de nombreux essais sur la littérature française et italienne, la peinture et le cinéma et collabore à de nombreux sites et revues littéraires.

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Bien connu en France, Pasolini est réputé être un intellectuel italien de premier plan. Un de ceux qui contestent la société, revendiquent des propos polémiques et font face, sans hésitation aucune, à des scandales On pourrait presque le qualifier de français tellement son caractère contestataire et provocateur est celui que la presse et un certain milieu culturel voire politique ont sans cesse mis en avant. C’est oublier qu’il était contre l’avortement et qu’il a défendu, en juin 68, chose difficile à comprendre de nos jours, les policiers face aux étudiants lors d’une fameuse manifestation à Valle Giulia à Rome. Loin de reconnaître à l’histoire un intérêt pour comprendre la société et le monde dans lesquels il vivait, il regrettait et idéalisait l’époque révolue où les paysans avaient la première place. Pas vraiment un progressiste donc.
Il était temps de se pencher sur l’œuvre écrite de Pier Paolo Pasolini, PPP pour les Italiens, et de s’intéresser à ce qu’il nous a laissé d’essentiel. C’est Philippe Di Meo, l’un de ses traducteurs qui nous livre ici une analyse particulièrement serrée et argumentée d’une œuvre trop souvent mal lue et donc mal comprise. A partir de deux recueils de poésie et d’un roman inachevé, il nous présente les points clés sur les quels l’œuvre de Pasolini, poète et romancier, comme cela figure dans le titre de cet essai, repose.
Le poète tout d’abord. "La Nouvelle Jeunesse", dernier recueil paru en 1975 reprend le premier ouvrage du poète "La Meilleure Jeunesse" paru en 1954. Pasolini le complète d’une nouvelle version écrite après vingt ans d’une vie compliquée dont on connait la fin tragique. La boucle, du début à un aboutissement, parait donc bouclée mais la lecture montre que "La Nouvelle Jeunesse" est bien plus riche que cela. Philippe Di Meo nous explique que ce deuxième volume n’est pas une simple réécriture du premier mais que c’est un véritable dialogue entre ces deux œuvres qui se complètent et se répondent l’une l’autre. Et à l’intérieur de ce dialogue se situe le cœur de la poésie et de toute l’œuvre de Pier Paolo Pasolini. Un narcissisme régressif parcourt toute son œuvre et apparait à la lecture des vers de ces « deux livres consanguins mais irréductibles ». Pasolini dans son recueil de 1975 regarde le recueil qu’il a écrit en 1954 et ne réussit pas à s’y retrouver. D’où une profonde crise qui fait qu’il « se retourne contre lui-même et ce en quoi il avait cru ».
Le romancier ensuite. Pétrole, roman si tant est que l’on puisse qualifier ainsi cet ouvrage que Pier Paolo Pasolini était en train d’écrire quand il a été assassiné, est une véritable mosaïque de textes qui sont « une juxtaposition d’énoncés diversement différenciés plutôt qu’un enchainement narratif ostensible ». Pas de logique dans ce livre que son auteur n’avait pas encore mis en ordre. Plus une œuvre en train de se mettre place, qu’un texte fini et clos. Ce qui rend difficile tout commentaire mais montre le travail en cours d’un écrivain majeur dans l’Italie du vingtième siècle. Par une lecture rigoureuse et approfondie de ces textes, l’auteur de Pasolini, poète et romancier, nous montre que le clivage nature-culture est, avec le narcissisme régressif, le deuxième axe central de toute l’œuvre que nous explorons ensuite dans un troisième chapitre consacré à une œuvre cinématographique.
"Que sont les nuages ?" est un film dans lequel Totò, célèbre acteur comique italien, joue. Ce film est une interprétation toute pasolinienne d’Othello de Shakespeare. Philippe Di Meo établit à partir de ce film, un parallèle avec le mythe de la caverne de Platon et conforte « la volonté pasolinienne de concilier les contraires » Ce qui rentre parfaitement dans la figure de Narcisse qui contemple sa propre image et reste nostalgique de son enfance et donc du temps passé tout en vivant pleinement son époque en y étant totalement inséré. Et c ’est à force de répondre à ses pulsions narcissiques régressives que Pasolini va vivre une véritable crise de la représentation, l’obligeant à inventer toute une série d’œuvre poétiques et littéraires dans style nouveau voire révolutionnaire.
Pour terminer, deux dialogues nous permettent, par le jeu des questions et des réponses de revisiter et parfois de préciser toutes les interprétations, réflexions et discussions qui ont été abordées dans les trois chapitres précédents
A qui veut connaître et comprendre Pasolini, on ne peut que recommander cet ouvrage qui, une fois terminé, replace Pier Paolo Pasolini dans sa propre et essentielle vérité.
Philippe Poivret