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Collection « Poiesis »

Helena Belzer et Véronique Bergen
Publié avec l’aide du CNL
144 pages, 87 illustrations couleur, 16 x 22 cm
ISBN 978-2-87317-615-0
22 €, 2023
Commande : https://www.exhibitionsinternational.be/documents/catalog/9782873176150.xml

Avant, pendant et après expose quelques étapes représentatives de la trajectoire picturale d’Helena Belzer, de ses premiers dessins et tableaux de la fin des années 1960 à nos jours. Une sélection d’œuvres marquantes qui ne représentent qu’une partie de ses créations. Les textes de présentation et les créations poétiques de Véronique Bergen accompagnent une vie en peinture dont ils questionnent l’évolution de l’expression esthétique au fil des décennies. La mise en regard des tableaux et des textes dévoile la rencontre de deux univers qui, après Encres et Tomber vers le haut, poursuivent le chemin du dialogue.

Helena Belzer est peintre et c’est dans sa peinture que l’on peut lire au mieux l’empreinte de son parcours, ses nombreux séjours et voyages en Inde, en Asie et en Europe, au tracé de ses propres chemins, du mot au signe, du signe à la forme, de la forme à la couleur, sans s’opposer ni se laisser entraîner par les courants, s’approchant des sources de la connaissance, guidée par sa propre soif.

Véronique Bergen, licenciée en philologie romane et en philosophie de l’Université libre de Bruxelles et docteure en philosophie de l’Université Paris 8, membre de rédaction de la revue Lignes, est philosophe, romancière et poète. Membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, elle collabore régulièrement à diverses revues. Derniers ouvrages parus : Écume (roman, Les Équateurs/Onlit), Marianne Faithfull. Broken English (essai, Densité) ; Marolles. La Cour des chats (essai, CFC Éditions). À La Lettre volée, elle a co-signé avec Aurélien Barrau et Mathieu Brosseau Variations sur l’animal central en 2018 et une monographie de Marie-Jo Lafontaine, Tout ange est terrible, en 2021.

L’infa­ti­gable officiante
de Jean-Paul Gavard-Perret
in http://www.lelitteraire.com/?p=97312&fbclid=IwAR1SXU2jMHBa6NokR98ILJnbmZXiakgD0EZTWXcoLjS8xist1C6T6NHj5vA

Véro­nique Ber­gen ose se lais­ser aller ici à un lyrisme par­ti­cu­lier pour évo­quer tout ce qu’elle res­sent face au tra­vail d’Helena Bel­zer. Ce lyrisme n’est pas conçu de folles envo­lées mais accorde des points d’ancrage au cours, à l’avancée et à la puis­sance de cette oeuvre.

Chez elle, “rien ne se ferme / rien ne se clôt” mais se recrée loin des modèles afin, et entre autres, de sug­gé­rer le vif d’une pres­sion et d’une oppres­sion sur les femmes que l’artiste comme l’auteure dénoncent en “ves­tales du lan­gage”. Elles crient à leur manière le nom d’Antigone.
Elles donnent aux mères mortes et loin de toute mon­da­nité une nou­velle lumière là où, d’une cer­taine manière, des “amours se félinent” et où, en leur écho, du lan­gage plas­tique et d’un autre poé­tique sur­gissent les “extases de lumière / (qui) zèbrent nos cieux noir.”

Véro­nique Ber­gen a donc su trou­ver dans l’abstraction de Helena Bel­zer la Voie et sa voix. Elle y a décou­vert diverses cartes astrales mais aussi phy­siques où appa­raissent ”zodiaque des êtres en ape­san­teur / ligne verte de la lune folle / ligne mauve de Vénus (…) orgasmes du tri­angle pubien dan­sant sur sa pointe / dans un champ stel­laire / bleu / comme la fleur de Nova­lis.“
Elle décrit au plus juste ce qu’elle-même pro­pose en repons aux ”glyphes étran­gers à l’alphabet” de l’artiste et sa pein­ture dont, des masses sombres, sur­gissent des formes incon­nues. D’où des images sourdes — l’adjectif est impor­tant. Leurs créa­tions induites par abs­trac­tion, lisières, ryth­miques, “pay­sages” per­mettent de tou­cher à l’imperceptible. Il n’est plus ici un vacuum mais un plein conçu en diverses cartographies.

Bergen les pré­cise par ce que Helena Bel­zer lui affirme : “sans moi dit-elle / il n’y aurait rien que le rien / ni formes ni cou­leurs / pas de dia­logue entre le même et le même / entre l’identique et le dif­fé­rent / entre la goutte de pluie et l’hirondelle”. C’est pour­quoi celle-ci reste l’infatigable offi­ciante.
L’auteure trouve les mots pour l’évoquer, en une excep­tion­nelle conver­gence. Elle capte le geste pic­tu­ral de cette œuvre dont les fils se tendent depuis un passé chargé d’inconnu pour rejoindre dans le pré­sent des pro­jec­tions de l’imaginaire. Et ce, en vue de conquêtes dépas­sant, entre ascèse et ivresse, ce qui s’inscrit dans le circonstanciel.

Véronique Bergen, des arts visuels aux mots
de Claude Lorent
in https://fluxnews.be/veronique-bergen-des-arts-visuels-aux-mots/?fbclid=IwAR09l5FibDG9Y1xigNGqfzKDmKlmHxQiF3c7VaTQ9j6Eo_YsfjkBGY0Bek0

A l’occasion de l’exposition des peintures d’Helena Belzer à La Lettre volée, la philosophe belge publie un troisième ouvrage sur l’œuvre de l’artiste d’origine allemande.

Approcher la peinture – partant les arts visuels – par l’écriture – partant par la pensée -, est toujours une gageure. Un défi risqué que relève avec une sagacité toute poétique la philosophe Véronique Bergen. Elle n’en est pas à son coup d’essai et sa culture infiniment plurielle lui permet de voyager à l’aise et avec érudition dans les écrits autant que dans les images, dans les fictions autant que dans les analyses, dans les mythologies autant que dans les méandres de l’introspection, dans les arcanes de l’onirisme, du fantastique, des fantasmes et des univers issus d’imaginaires sans limite. Cette polyphonie, cet assemblage de voix qu’elle fait sienne, est le secret de son écriture épicurienne et libre.

Portrait lettré

Pour l’heure, en relation avec l’exposition qui se tient à la galerie de La Lettre volée à Bruxelles, elle vient de publier un troisième opus poétique consacré à l’œuvre picturale d’Helena Belzer qui, dit-elle si justement, « déploie depuis des décennies, depuis plus de cinquante ans, une œuvre aussi méconnue qu’immense ». Avant d’aborder cet ouvrage et l’œuvre de la peintre, adapter l’adage « dis-moi qui tu lis et sur qui tu écris » permettra de circonscrire quelque peu l’environnement culturel de l’auteure que les lecteurs de Flux News connaissent par ailleurs puisqu’elle y livre régulièrement quelques textes. Sa bibliographie cite Jean Genet, Gilles Deleuze, Sartre, Kaspar Hauser, Anselm Kiefer… Dans ses écrits on croisera aussi « des figures féminines emblématiques » telles Patti Smith, Hélène Cixous, Marilyn et Barbarella, Martha Argerich ou encore Marianne Faithfull… Et dans les citations reprises d’un ouvrage précédent sur Helena Belzer, on alignera les noms d’Henri Michaux, Marguerite Duras, Agnes Martin ou Bodhidharma… Des compagnes et compagnons de lecture qui trace en filigrane un certain profil auquel se joindra de manière déterminante la publication consacrée à l’œuvre du dessinateur italien de bande dessinée Guido Crepax.

C’est dans cet environnement humain et littéraire que voyage la pensée agissante de Véronique Bergen. Osera-t-on à son encontre, le terme de philosophe libertarienne dans la mesure où l’auteure quitte volontiers les chemins balisés pour emprunter des sentiers incertains et broussailleux où se perdre est surtout se retrouver dans un autre monde, celui proposé par l’Art et l’Ecriture. « Venu d’outre-monde / y retournant / un déluge d’atomes / frappe d’apocalypse l’ikebana / le souffle / le pied du cerisier. », écrit-elle face à une série d’encres de Chine noires, intitulées « Ashes » (cendres) d’Helena Belzer.

Avant, pendant et après

Ce titre de l’ouvrage, qui sous-entend une continuité, un temps non compté, couvre, précise l’auteure, « un très petit échantillon d’œuvres (ndlr : plus de 80), de dessins, de peintures qui s’étagent de ses premières créations à la fin des années soixante à nos jours (…), rythmé par mes poèmes, par mes textes de présentation ». Il ne s’agit pas d’un livre de critique ou d’historien de l’art, mais d’une suite de textes poétiques, en vers libres ou plus rarement en prose. Il convient dès lors de se laisser emporter par les vagues de mots qui roulent sous nos yeux car surgiront alors d’indescriptibles correspondances et affinités (on dira aujourd’hui connections) avec les œuvres reproduites ainsi complices du verbal. Le préfacier, le poète Pierre-Yves Soucy, écrit : « Car ce qui est vu – ces œuvres en leur singularité – se prolonge inévitablement dans la parole, aussi intérieure soit-elle ; alors que ce qui en est dit pénètre les œuvres elles-mêmes d’une manière inédite ». Dans les poèmes, point de ponctuation à l’exception de rares points d’interrogation ou d’un point, final ou pas. C’est le rythme de l’écriture qui s’impose, seul, ce sont les mots qui scandent la pensée. Parfois des jeux de mots, parfois des jeux de sonorités, entre les références à la nature comme matière première, comme lieu d’enchantement ou de mystère.

Double découverte

Que l’on ait ou pas eu l’opportunité de visiter l’exposition actuelle, entreprendre l’ouvrage, revient à se lancer dans une double lecture. Une première purement visuelle pour découvrir au fil des pages, les reproductions des œuvres picturales et prendre le temps de s’en imprégner car la diversité en est l’apanage. Une seconde lecture pour y associer les mots dont la densité poétique renvoie non seulement aux peintures chargées de sens imprévisibles à l’œil vagabond, de saveurs et d’odeurs, mais aussi à l’humain et au monde dans lequel sa naissance l’a irrémédiablement plongé. Une synergie s’enclenche désormais indissociable, énergie questionnante liée à l’esprit, à l’être, aux œuvres, sans réponse définie, définitive, fermée. Ouverture des champs poétiques de la peinture et de l’écriture.

De la première lecture comme de la visite d’exposition, on aura retenu que l’univers pictural est abstrait, multiple et extrêmement varié en ses résolutions qui passent de grands signes noirs à des compositions aux figures hautement colorées, de propositions linéaires épurées à des modulations chromatiques vibrantes où jouent transparences et superpositions, à des affirmations lumineuses et surfaces aux vibrations intenses. Pas de règle définie, pas d’esthétique figée, les images se succèdent, parentes ou indépendantes, en affichant leur personnalité distinctive, jusqu’à, très rarement la tentation de la suggestion figurative comme en ce papier en noir et blanc de 1978, « Sans titre », silhouette d’une femme alanguie, ou en cette acrylique de 2013 « Robert Walser », évocatrice d’un lieu de tragédie. « Des quêtes formelles hétérogènes » nous dit la poétesse qui parle aussi d’une « ligne éthique » et ajoute que « l’œuvre d’Helena Belzer se présente comme un contre-feu, comme un espace-temps qui n’a jamais pactisé avec les concessions et l’infirmité de la gloire ». D’abstraction, il en est question dans l’un des textes de Véronique Bergen qui note, fort à propos, que « Les frontières entre abstraction lyrique et expressionnisme abstrait se brouillent, l’intuition d’une construction de l’espace laisse affleurer le continent des émotions, de l’instabilité de la matière et de l’esprit ».

De l’origine d’un langage abstrait

Parmi les textes de l’ouvrage, il en est un capital afin d’entrer en cette abstraction. Nous n’avons encore rien dit de l’artiste Helena Belzer qui, née en en Allemagne en 1941, installée en 1959 à Munich avant de migrer en 1967 à Formentera où elle réside encore actuellement, a débuté en écrivant des poèmes et s’est consacrée à la peinture à la suite d’une initiation conduite par l’artiste Eli Montlake à Eivissa (Baléares). La question que se posa très tôt l’artiste fut celle du mode d’expression. Bien que tentée par la poésie, elle élimina, tôt, le verbal. « Face à la honte d’appartenir, par les aléas de la naissance, à une nation coupable, à un régime qui fut responsable de la Shoah », écrit Véronique Bergen, « la réaction d’Helena Belzer fut de s’amputer de la langue allemande et d’inventer des écritures privées, non maculées, vierges de crimes. (…) Il s’agit pour Helena Belzer d’accomplir, par la peinture, dans la peinture, une dénazification (…) ». L’artiste voyagea abondamment, en Inde, au Japon, au Maroc, en Iran et en Chine où elle poursuivit des études de calligraphie. Le premier ouvrage que lui consacra la philosophe dès 1994, portait sur les « Encres », peintures d’une écriture purement graphique. Dans l’un des poèmes récents, Véronique Bergen écrit : « par la peinture / se réserver l’accueil / que la Loi et l’Histoire nous ont refusé / entrer dans l’être par la vertu des formes ». Ajoutons encore cette insertion concernant l’abstraction picturale de Belzer qui recoupe « les mouvements de l’abstraction géométrique, de l’abstraction lyrique, de l’expressionnisme abstrait ou de la géométrie sacrée de l’hindouisme, du bouddhisme ». Ou encore : « La peinture d’Helena noue un dialogue intense avec les défunts (…) ». Et l’auteure de conclure la présentation de l’exposition par ces mots en complicité avec Marguerite Duras : « Si la beauté de la peinture d’Helena Belzer n’a pas été ‘accaparée par le pouvoir’, réduite en cendres par ‘la stupidité et la cruauté du présent’, c’est parce que, de se tenir dans l’ombre, elle n’a cessé d’avancer ses formes en les soustrayant aux mâchoires du monde ».